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Sœur Emmanuelle (1908-2008). Fête le 20 Octobre.
Dimanche 20 Octobre 2024 : Fête de Sœur Emmanuelle, souvent surnommée la « petite Sœur des chiffonniers » ou « petite Sœur des pauvres » (1908-2008).
Sœur Emmanuelle n’est ni Béatifiée, ni Canonisée et elle n’est donc pas au Calendrier Liturgique (morte trop récemment), mais je la mets ici car elle a marqué toute une génération (dont je fais partie) et sa vie vaut d’être soulignée.
Elle est connue pour ses œuvres caritatives en Égypte auprès des enfants et des plus démunis, et un symbole, dans l'opinion française, de la cause des déshérités.
À son entrée chez les Religieuses de la congrégation de Notre-Dame de Sion, elle prend le nom de Sœur Emmanuelle mais se fait appeler Mère Emmanuelle par ses élèves.
C'est sous ce nom qu'elle se fait connaître des médias et devient très populaire dans l'opinion publique, apparaissant régulièrement en tête des classements des personnalités préférées des Français.
http://www.peintre-icones.fr/PAGES/CALENDRIER/Octobre/20.html
Sœur Emmanuelle (1908-2008)
Madeleine Cinquin est née à Bruxelles le 16 Novembre 1908 d'ans une famille franco-belge aisée.
En 1914, alors qu'elle n'a que six ans, elle est fortement marquée par la mort de son père, noyé sous ses yeux sur la côte d'Ostende.
Cette expérience la traumatise profondément et la fait se rapprocher de Dieu. Elle déclare que, dans son inconscient, sa vocation de religieuse date de cet accident.
Elle entre de fait plusieurs années après, dans la Congrégation de Notre-Dame de Sion. Mais ce n'est qu'au moment de sa retraite en 1971, elle était jusque là enseignante, que sa vie va prendre l'ampleur qui va la conduire sur le devant de la scène internationale.
Elle va vivre avec les chiffonniers du Caire, pauvre parmi les plus pauvres, ce qu'elle désirait depuis toujours.
Soeur Sarah, une copte orthodoxe va la rejoindre quelques années plus tard, et elles vont oeuvrer à améliorer le sort de cette frange de la population égyptienne jusqu'alors laissée pour compte.
Elle écrit et son combat devient connu. Elle ira récolter les fonds nécessaires aux quatre coins du monde, invitant à la joie du partage.
Lorsqu'elle doit rentrer en France, elle continue à se battre pour plus de solidarité, et tente toujours et partout d'éveiller à la vraie vie, qui est joie et partage.
Ses forces déclinant, elle s'enfonce toujours plus dans la Prière, et s'éteint juste avant son 100ème anniversaire.
" Acharnons-nous pour que l'Homme soit partout respecté " " Yalla! "
"Je laisse le passé entre les mains de Dieu. L'avenir est la route vers le Ciel. Mais ce qui m'intéresse le plus, c'est la minute présente où je sens Dieu présent à la porte de mon coeur. "
Sœur Emmanuelle photographiée par Gauthier FABRI à Louvain-la-Neuve en Belgique, le 19 Novembre 2003 lors d'une conférence tenue dans l'auditoire Socrate 10 comble.
Sœur Emmanuelle répondait aux questions du Père Charles Delhez.
(Pour voir la photo en grand format : soeuremmanuelle.jpg).
http://fr.wikipedia.org/wiki/S%C5%93ur_Emmanuelle.
Sœur Emmanuelle, née Madeleine Cinquin le 16 novembre 1908 à Bruxelles (Belgique) et morte le 20 octobre 2008 à Callian (Var, France), souvent surnommée la « petite sœur des chiffonniers » ou « petite sœur des pauvres », est une enseignante, religieuse et écrivain.
Elle est connue pour ses œuvres caritatives en Égypte auprès des enfants et des plus démunis et est un symbole, dans l'opinion française, de la cause des déshérités.
Née d'une mère belge et d'un père français, elle possède ces deux nationalités. En 1991, le président Moubarak lui a accordé la nationalité égyptienne en remerciement de son œuvre au Caire.
À son entrée chez les religieuses de Notre-Dame de Sion, elle prend le nom de Sœur Emmanuelle mais se fait appeler Mère Emmanuelle par ses élèves.
C'est sous ce nom qu'elle se fait connaître des médias et devient très populaire dans l'opinion publique, apparaissant régulièrement en tête des classements des personnalités préférées des Français.
Jeunesse
Madeleine Cinquin est née le 16 novembre 1908 à Bruxelles d'un père français, originaire de Calais, et d'une mère belge, bruxelloise.
Elle a des origines juives alsaciennes par sa grand-mère, née d’un père juif du nom de Dreyfus et d’une mère chrétienne au début du XVIIIe siècle.
Elle grandit dans une famille aisée de trois enfants ayant fait fortune dans la lingerie fine et partage ses jeunes années entre Paris, Londres et Bruxelles.
En 1914, alors qu'elle n'a que six ans, elle est fortement marquée par le décès accidentel de son père, noyé sous ses yeux à Ostende le 6 septembre.
Elle était sur la plage et l'a vu nager au loin puis disparaître dans la mer houleuse. Cette expérience la traumatise profondément et la fait se rapprocher de Dieu. Elle déclare que, dans son inconscient, sa vocation de religieuse date de cet accident.
Quelques années plus tard, Madeleine Cinquin souhaite aller à l'université catholique de Louvain mais sa mère s'y oppose car elle estime qu'elle y serait trop oisive.
Elle remarque alors que sa fille se tourne vers Le Christ et tente de l'en détourner en lui faisant rencontrer la supérieure du couvent de Notre-Dame de Sion à Londres.
Ceci ne fait que renforcer ses convictions et accentue la quête de toute sa vie, l'aide à l'enfance malheureuse.
Après avoir voulu initialement rejoindre les Filles de la Charité, Madeleine entre finalement comme postulante à la congrégation de Notre-Dame de Sion le 6 mai 1929.
Après des études de sciences philosophiques et religieuses, elle prononce ses vœux de religieuse le 10 mai 1931 et choisit le nom de Sœur Emmanuelle, qui signifie « Dieu avec nous » en hébreu.
Enseignement
La carrière d'enseignante de sœur Emmanuelle commence tout d'abord à Istanbul en Turquie, dans une école pour jeunes filles d'un quartier pauvre de la ville.
Sœur Emmanuelle attrape alors la typhoïde et toutes les autres sœurs lui proposent leur sang afin de l'aider à combattre la maladie.
Une fois rétablie, en guise de remerciement, sœur Emmanuelle donne une conférence sur la vie de Soliman le Magnifique et impressionne la directrice du collège, Mère Elvira, qui décide alors de l'affecter dans son établissement.
Bien que celle-ci se soit engagée à envoyer Sœur Emmanuelle au service des pauvres, elle la convainc qu'elle sera plus efficace si elle enseigne à des jeunes filles aisées, appelées à avoir un rôle influent dans la vie turque. Elle enseigne alors les lettres au Lycée Notre-Dame de Sion. Après la mort de sa supérieure, Sœur Emmanuelle ne s'entend pas avec sa remplaçante et elle est envoyée à Tunis.
De 1954 à 1959, elle enseigne en Tunisie pendant cinq ans où elle s'occupe de filles de Français installés dans le pays mais ce nouveau poste ne lui convient pas. En pleine décolonisation du pays, les filles dont elle a la charge lui semblent plus superficielles et l'environnement général la fait doucement sombrer dans une dépression.
Ce n'est qu'au bout de trois ans que les responsables de Sion se rendent compte de son état et se décident à la déplacer.
Après avoir décroché sa licence ès lettres à la Sorbonne à Paris, Sœur Emmanuelle est de nouveau affectée à Istanbul en 1959 pour une courte durée.
De 1964 à 1971, elle est envoyée en Égypte pour enseigner au collège de Sion à Alexandrie. Cette expérience s'avère de nouveau négative pour elle car les élèves dont elle est en charge sont peu ouverts sur la pauvreté.
Elle décide donc d'arrêter d'enseigner la philosophie et s'occupe à la place des filles du quartier défavorisé de Bacos.
C'est durant cet épisode qu'elle tombe amoureuse de l'Égypte.
Engagement auprès des chiffonniers du Caire
En 1971, à l'âge de la retraite, elle décide de partir, à l'instar du Père Damien qu'elle vénère, s'occuper des lépreux au Caire mais doit renoncer face à des complications administratives car le lazaret se trouve en zone militarisée.
Elle décide alors de partager la vie des plus démunis et, avec l'autorisation de sa congrégation, part s'installer à Ezbet-El-Nakhl, un des bidonvilles les plus pauvres du Caire en Égypte, au sein de la communauté majoritairement copte Chrétienne des zabbalines, chargée de la récupération des déchets.
En collaborant avec plusieurs églises locales, elle parvient à établir une communauté et lance de nombreux projets de santé, d'éducation et de protection sociale visant à améliorer les conditions de vie.
En 1976, elle rencontre Sarah Ayoub Ghattas (Sœur Sarah), alors supérieure de la Congrégation copte-orthodoxe des Filles de Marie de Béni-Souef.
Francophone et issue d'une famille de la bourgeoisie, elle obtient l'autorisation de l'évêque Athanasios, fondateur de la Congrégation, pour rejoindre Sœur Emmanuelle à Ezbet-Al-Nakhl dont elle partage la cabane.
En 1977, Sœur Emmanuelle publie son premier livre Chiffonnière avec les chiffonniers dans lequel elle raconte son combat.
En compagnie de Sœur Sarah, elle part en 1978 aux États-Unis afin de récolter des fonds. À leur retour, avec l'argent amassé, elles peuvent investir et en 1980, le Centre Salam est inauguré par l'épouse du président Sadate et propose des dispensaires, des écoles, des jardins d'enfants, des centres de formation et un club social.
En 1982, après avoir confié la gestion d'Ezbet-Al-Nakhl à des jeunes religieuses de l'ordre des filles de Sainte-Marie, elle s'occupe des chiffonniers de Mokattam représentant, avec plus de 23 000 personnes vivant au milieu des détritus, la plus grande communauté de zabbalines du Caire.
En 1984, Sœur Emmanuelle vient en aide à cinq familles pauvres et leur permet à chacune de se construire un abri, séparé du lieu où sont triés les déchets.
Elle fera plus tard construire ce même type d'abris à plus grande échelle afin d'accueillir le plus de monde possible.
Elle continue à utiliser son charisme afin de récolter des dons et mobiliser les pouvoirs. Elle permet de raccorder le bidonville à l'eau et l'électricité et poursuit la construction de nombreuses habitations et d'une usine de compost.
En 1985, elle s'installe dans le bidonville de Meadi Tora puis se rend à Khartoum (Soudan) la même année pour créer des foyers, écoles, fermes et dispensaires.
En 1991, à l'occasion de la Célébration des « noces de diamant » de sa vie religieuse, le président Moubarak lui remet la nationalité égyptienne en reconnaissance de son œuvre en Égypte.
En 1993, à la demande de sa Congrégation, Sœur Emmanuelle quitte définitivement l'Égypte et rejoint sa communauté en France.
Sœur Sarah dirige alors l'entreprise caritative et continue seule le développement du bidonville de Mokattam.
Depuis, un lycée pour filles a été créé grâce à l'opération Orange et des écoles techniques ont été ouvertes pour les garçons.
Un hôpital a même été construit grâce au prince Albert de Monaco. En 22 années de présence, l'œuvre de Sœur Emmanuelle a permis de scolariser 85 % des enfants, de faire diminuer la violence et de permettre aux femmes de se libérer.
Retraite
À son retour en France, Sœur Emmanuelle continue de se battre pour plus de solidarité. Elle écrit des livres, notamment avec sa nièce Sofia Stril-River, rencontre des jeunes dans les lycées et les écoles, s'occupe également de l'association Les Amis de Paola à Fréjus en aide aux SDF et donne des conférences aux côtés de son association pour sensibiliser le public à l'engagement solidaire.
Parallèlement, Sœur Emmanuelle continue à donner « un souffle » à son association. Elle lui transmet ses principes d'actions qui sont chaque jour mis en pratique sur le terrain. « éduquer un homme c'est éduquer un individu, éduquer une femme, c'est éduquer un peuple ».
En 1995, avec Geneviève de Gaulle-Anthonioz, elle est à l'origine de l'orientation de la campagne présidentielle de Jacques Chirac sur le thème de la fracture et de l'exclusion sociale.
Le 1er janvier 2002, Sœur Emmanuelle est promue par Jacques Chirac au grade de commandeur de la Légion d'honneur avant d'être élevée, par Nicolas Sarkozy, le 31 janvier 2008 grand officier de la Légion d'honneur.
En Belgique elle devint en 2005 grand officier dans l'Ordre de la Couronne. Elle joint le comité d'honneur de Philanthropos, institut d'études anthropologiques fondé en 2003 par le père Nicolas Buttet.
Depuis 1993, elle vivait à la Maison de repos des religieuses de Notre-Dame de Sion à Callian dans le département du Var, où elle est décédée le 20 octobre 2008 à l'âge de 99 ans.
Elle a été inhumée dans la plus stricte intimité, selon ses propres volontés, le 22 octobre 2008 au cimetière de Callian.
Le même jour a eu lieu à Paris en la cathédrale Notre-Dame une messe requiem pour lui rendre un hommage collectif.
Le lendemain, le 23 octobre 2008 avait lieu à Bruxelles en la Cathédrale Saints-Michel-et-Gudule une messe commémorative.
Les textes et les chants avaient été choisis par Sœur Emmanuelle elle-même quelques mois plus tôt pour ce qui aurait dû être normalement une messe à l'occasion de son centenaire.
Le roi Albert II de Belgique ainsi que le prince Laurent et la princesse Claire ont assisté à la cérémonie.
Les chants y ont été interprétés par une jeune chorale belge (la Schola). Plusieurs membres de cette chorale font partie de l'association belge « Les Amis de Sœur Emmanuelle ».
Les Mémoires de Sœur Emmanuelle paraissent dans le livre « Confessions d'une Religieuse » le 23 octobre 2008, rédigés depuis près de vingt ans et publié après sa mort, selon ses dernières volontés.
Homélie du Cardinal André Vingt-Trois prononcée lors de la Messe de Requiem de Soeur Emmanuelle, à Notre Dame de Paris, le 22 Octobre 2008
"J’ai cent ans et je voudrais vous dire". Au moment où Sœur Emmanuelle quitte ce monde, il est bon pour nous d’essayer de comprendre ce qu’elle voudrait, ce qu’elle veut nous dire.
Non seulement l’exposé de ses idées (sur la vie) ou ses pensées, mais surtout le témoignage de sa vie.
Car, comme chacun d’entre nous, comme tout homme ou toute femme en ce monde, ce qu’elle peut vraiment nous communiquer c’est ce qu’elle a vécu, ce qui l’a fait vivre et ce qui dévoile le sens de son action.
Le premier trait qui se présente à nous dans la vie de Sœur Emmanuelle, c’est la puissance de l’Amour. Un jour, elle a été saisie et transformée par l’Amour d’une façon décisive et irrémédiable.
Sans doute le don qu’elle avait fait d’elle-même dans sa Consécration religieuse était-il déjà inspiré par le désir d’aimer et de servir Dieu et ses frères.
Mais le chemin où elle s’est engagée avec les enfants du Caire est un basculement total. Il découvre à nos yeux la profondeur et la puissance de cet Amour.
Il s’agit du même don de soi définitif qui fut celui de sa profession religieuse, mais ce don prend une dimension nouvelle par la communauté de destin dans laquelle elle s’engage avec ces enfants qui, avant d’avoir besoin de ses leçons de professeur et d’éducatrice, ont besoin de manger pour survivre.
Elle comprend que les aimer, c’est se lier à eux par le genre de vie, par le partage de la misère et par l’encouragement à faire quelque chose pour en sortir.
Il s’agit d’un véritable basculement qui saisit la liberté et le cœur et qui entraîne à miser tout sur une parole, la parole de celui qui est venu donner sa vie pour l’humanité, Jésus de Nazareth.
Comme les disciples, qui avaient passé en vain toute la nuit à pécher, elle entend le Maître l’appeler à « jeter les filets pour la pêche. » Et, confiante en la Parole de Celui qu’elle aime, elle lâche tout et se lance dans une aventure inimaginable, au-delà des conventions habituelles, hors de son champ de compétence.
Elle se fait chiffonnière avec les chiffonniers. Elle plonge sans retour dans la solidarité de destin avec ceux qui n’ont rien et que tous méprisent.
Et la joie qui l’habitait et dont elle rayonnait était certainement le signe extérieur de ce cœur donné sans retour pour répondre à l’appel du Christ.
Mais nous devons faire un pas de plus. Faut-il considérer l’histoire de Sœur Emmanuelle comme un prodige extraordinaire que l’on admire avec d’autant plus de ferveur qu’on n’imagine pas qu’il puisse nous concerner ?
Est-elle un de ces héros dont on exalte la figure sans craindre d’être nous-mêmes entraînés à les suivre ?
Saint Paul nous le disait à l’instant, l’Amour est le don le plus grand qui puisse nous arriver et qui les surpasse tous. Mais de quel Amour parle-t-il ? De l’Amour que Dieu nous manifeste et qu’Il nous invite à vivre dans nos rapports les uns avec les autres.
Sans cet Amour je ne suis rien. Il n’y a pas trente six sortes d’Amour et si nous voulons progresser dans l’Amour, il nous faut nous mettre à l’école de celles et de ceux qui en ont été habités au point de tout donner pour le vivre, l’école de saint Vincent de Paul, du Bienheureux Frédéric Ozanam, de Mère Térésa, de l’Abbé Pierre et de tant d’autres qui ont passé leur vie au service des pauvres dans lesquels ils reconnaissaient le visage du Christ qui les avait appelés :
« J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire, j’étais un étranger et vous m’avez accueilli, nu et vous m’avez vêtu, malade et vous m’avez visité, prisonnier et vous êtes venus me voir » (Mt 25, 36).
De ces exemples nous pouvons tirer quelques enseignements qui éclairent notre propre route. L’Amour suppose un don total de soi. Il nous entraîne à quitter les sécurités des chemins bien balisés et surtout il nous demande de ne pas nous laisser prendre au piège de la bonne conscience qui se nourrit du souci de notre image.
Sœur Emmanuelle a utilisé sans complexe les moyens de la communication et de la médiatisation, non pour faire la promotion de son image, mais pour faire connaître à tous l’univers de cauchemar dans lequel vit aujourd’hui encore une bonne partie de l’humanité. L’Amour est un don définitif et sans retour, sinon il n’est que chimère et illusion. Comment les enfants du Caire auraient-ils pu faire confiance à Sœur Emmanuelle si sa présence au milieu d’eux avait été incertaine et épisodique ? Il n’y a pas d’alliance s’il y a une échappatoire.
Enfin l’Amour est contagieux. Il est une force d’attraction qui embarque des complices à tout moment. Certes la personnalité de Sœur Emmanuelle est une sorte de figure emblématique. Mais l’authenticité du service qu’elle a accompli se manifeste dans sa capacité à associer toutes sortes de gens à son action, telle sœur Sara, une religieuse copte orthodoxe qui poursuit aujourd’hui son œuvre avec les chiffonniers du Caire.
Elle ne les séduisait pas pour elle-même, ni pour se donner la satisfaction d’avoir des disciples, mais elle les enrôlait dans son armée de miséreux parce qu’ils pouvaient y faire quelque chose d’utile pour les autres et pour eux-mêmes.
Les vedettes n’ont pas de successeurs, les serviteurs ont des amis qui les soutiennent et qui développent leur œuvre.
Notre véritable hommage à Sœur Emmanuelle n’est-il pas de tirer les leçons de son histoire d’Amour avec les pauvres de ce monde ?
N’est-il pas de crier pour tous ceux qui survivent avec peine dans la malnutrition et le manque de soins ?
N’est-il pas de nous interroger sur le déséquilibre qui marque notre univers : d’un coté, l’énergie que l’on dépense pour la richesse et le confort d’une société dont on attend qu’elle assume tous les risques de la vie et de l’autre, l’insécurité absolue sur les besoins élémentaires de l’existence : manger, boire de l’eau, se soigner, apprendre à lire et à écrire ?
Ceux qui professent la Foi Chrétienne autrement que comme une assurance supplémentaire ne doivent-ils pas être les premiers à « avancer en eaux profondes et à jeter les filets pour la pêche » pour que l’Amour soit connu non pas seulement en paroles, mais en acte et en vérité.
Certes, les chrétiens se mobilisent pour vivre davantage le partage avec les pauvres de ce temps et nous en sommes fiers.
Mais nous n’oublions pas que même la générosité n’est rien si elle n’est pas animée par l’Amour.
Nous ne sommes pas appelés seulement à donner de nos biens, nous sommes appelés à nous donner nous-mêmes.
Sœur Emmanuelle a souhaité que ses obsèques soient célébrées dans l’intimité de sa famille religieuse.
Aurait-t-elle été très à l’aise dans notre hommage national ?
Je ne suis pas capable de répondre à sa place, mais il y deux choses dont je suis sûr. Premièrement, elle jubile certainement de voir que sa mort est une occasion de rappeler à tous l’urgence du service des pauvres de ce monde, un temps d’antenne supplémentaire pour ceux dont on parle si peu.
Deuxièmement, elle voit certainement avec joie que nous n’essayons pas d’expliquer sa vie en oubliant Celui qui seul lui a donné sens : Jésus de Nazareth qui est passé parmi les hommes en faisant le bien et qui, à la veille de sa Passion, nous a donné la clef d’interprétation absolue :
« il n’y a pas de plus grand Amour que de donner sa vie pour ceux qu’on Aime. »
C’est ce qu’il a fait et ce qu’il fait aujourd’hui dans cette Eucharistie. C’est ce que Sœur Emmanuelle a vécu à la suite et en compagnie de tant de disciples du Christ.
C’est ce que nous sommes tous appelés à vivre, car finalement sans l’Amour nous ne sommes rien. L’Amour seul est digne de Foi.
Le Testament spirituel de Sœur Emmanuelle
Si chers Amis, Nous le savons, l’Amour est plus fort que la Mort, le lien d’amitié profonde que nous avons noué ensemble dans la joie, a une valeur d’éternité joyeuse.
Aujourd’hui, où vous vous êtes encore une fois dérangé pour moi, mon âme et mon coeur sont tout près de votre âme et de votre cœur.
Je voudrais que cette chère rencontre se déroule dans une atmosphère de joie. J’ai choisi des cantiques pleins d’allégresse.
Chantez les joyeusement à pleine voix ! Je tiens à vous dire une merci bondissant de reconnaissance pour ce que vous avez fait et ferez encore, je le sais, pour nos milliers d’enfants en difficulté à travers le monde.
Grâce à vous, ils deviennent des citoyens debout et heureux. L’enfant qui souffre « sensible à vos cœurs » rappelle le mot de Pascal : « Dieu sensible au cœur ». Voilà la merveille qui, au-delà de toute conviction religieuse, politique, culturelle ou autre, nous unit tous dans une belle harmonie.
Seigneur, tu as voulu que nous, les humains, puissions tressaillir devant la douleur et arriver à la soulager.
C’est ainsi que, comme nous le dit Le Christ, dans l’évangile de Matthieu au chapitre 25, nous devenons « Bénis » par Toi, Notre Père des Cieux.
Oui vous êtes Bénis, vous qui savez aimer et partager, vous êtes Bénis, parce que, sans le savoir peut-être, vous avancez sur la route qui mène à l’éternité bienheureuse où je vous attends dans le même Amour.
Une petite confidence pour finir. J’ai demandé que soit chanté comme psaume le Magnificat. Ce cantique contient en effet le secret du Bonheur de ma vie.
Dès mon entrée en religion, en 1931, je me suis confiée, corps et âme, à la Vierge pour qu’elle me garde fidèle. Elle l’a fait et comment ! Remerciez là avec moi ! Yalla ! En avant ! C’est passionnant de vivre en Aimant !
Votre Emmanuelle qui garde chacun et chacune de vous dans son coeur.
Hommage à Soeur Emmanuelle
Sœur Emmanuelle
Un siècle d'amour
1908-2008
Les chiffonniers du Caire l’appelait Ableti, « grande sœur ». Son prénom ? Madeleine. Mais le monde entier connaît mieux celui que cette perpétuelle révoltée s’est choisi à 22 ans : Emmanuelle.
Toute sa vie, la Religieuse vêtue de sa sempiternelle blouse de nylon gris s’est battu contre la misère et l’exclusion.
Sœur Emmanuelle s'est éteinte comme une étoile. En laissant un immense rayon de lumière. Une disparition ressentie par tous : à qui n'était-elle pas devenue familière ? Foulard et blouse grise, tennis usés, on reconnaissait sans peine la silhouette.
Le visage ridé comme par un appétit de vie et de soleil, le regard bleu scintillant derrière de larges lunettes, et toujours le sourire aux lèvres.
Une femme totalement disponible aux autres : « Si on ne s'intéresse pas aux autres, la vie devient monotone », confiait-elle un jour à Paula Boyer.
Chacun avait compris depuis son retour d'Egypte que le mot retraite lui était étranger. Elle n'avait jamais semblé aussi présente.
Auprès de ses amis de l'association Asmae bien sûr, mais aussi à la télévision et à la radio, dans les écoles, les paroisses, les prisons.
Mais encore, et toujours, près des pauvres, des exclus. Les SDF de l'association Paola à Fréjus, par exemple.
Certes, elle goûtait la compagnie des religieuses de la maison de retraite du Pradon, dans le village de Callian, au pied de l'Esterel.
Elle aimait bavarder de jardinage, mais on la sentait toujours sur le départ, vaillante sur ses pieds ou calée dans un fauteuil roulant, prête à monter dans une voiture, un car ou un train. « Il faut qu'elle aille jusqu'au bout de ce qu'elle peut donner », expliquait un jour sœur Jeanne-Bernadette.
Jusqu’au bout, être utile et efficace
Inaction : autre mot banni de son vocabulaire. La gamine insupportable, la jeune religieuse frondeuse, la révoltée du Caire : comment effacer un tel caractère ?
Jusqu'au bout, elle entendait dire ce qu'elle pensait, secouer les dormeurs, ne pas rester les bras croisés.
Etre encore utile et efficace, avec cet optimisme qui en désarmait plus d'un, et cette façon de mettre un terme au doute : « C't'évident, non ? »
Ne jamais laisser s'éteindre la flamme de l'espérance. Yalla ! Qui n'a perçu l'infatigable volonté derrière cette interjection souvent répétée d'une voix à la fois fluette et ferme ?
Le charisme de sœur Emmanuelle reposait sur un sens inné du contact. Tutoyant tout le monde - sauf le Pape...-, dotée d'une mémoire d'éléphant pour les noms, elle marquait toujours un intérêt sincère pour celui qu'elle rencontrait. Avec le même égard, mais aussi le même culot, qu'il soit puissant ou misérable.
Dans les échanges, elle savait avec intuition ce qu'il fallait dire et faire à chaque instant. Et elle affichait une force de conviction inaltérable : « J'ai opté pour l'amour universel », disait-elle, expliquant que ce n'était pas la pauvreté qu'elle aimait, mais les pauvres ; la justice plus que la charité.
On comprend que, dans ses vœux prononcés, le plus dur aura été celui d'Obéissance. Et celui de Chasteté ?
Celle qui fut une jeune fille coquette effaçait d'une pirouette les remords : « Je n'aurais pas pu me consacrer à un seul homme ». A un autre que Dieu.
Au sommet des sondages
Tout le monde s'inclinait devant son obstination et admirait cette femme heureuse de vivre. Elle séduisait, fascinait, ou déroutait avec sa gouaille et son franc-parler.
Avouant ses péchés mignons - les glaces à la vanille, les moules-frites, les polars d'Agatha Christie-, rabrouant des ministres dans des directs télévisés, et gardant même sa liberté vis-à-vis du Pape.
Ce caractère bien trempé, si peu sensible aux normes et aux institutions, partageait pourtant bien des traits communs avec celui de Jean-Paul II.
Mais... « il a sa manière de voir et moi la mienne », affirmait-elle. Ce tempérament robuste n'a jamais freiné sa popularité.
Au baromètre annuel, elle caracolait, première femme derrière l'Abbé Pierre et les Zidane, Sardou, Noah et Belmondo.
Pas de quoi s'enivrer : « Quand j'arriverai devant Le Seigneur, il ne me demandera pas quelle place j'ai occupée dans les sondages », écrivait-elle.
Toujours les pieds sur terre, en somme, devant l'éphémère. Mais sœur Emmanuelle savait user habilement de ce succès médiatique pour défendre sa cause.
Le public français l'avait découverte en 1977, sur Europe 1 avec Philippe Gildas. Elle fut invitée régulièrement par la suite dans les grands rendez-vous des ténors de l'audiovisuel : chez Drucker, Poivre d'Arvor, Cavada, Giesbert ou Fogiel.
Tous dressèrent le même constat : sa maîtrise naturelle de l'outil télévisuel. Même en fin de soirée, elle pouvait faire grimper l'audimat.
Les qualificatifs n'ont pas manqué : énergique, brillante, drôle, ironique, charmeuse. Mais surtout sincère. Elle disait ce qu'elle pensait, et se moquait de sa popularité.
Car telle est la clé du personnage : son authenticité. Personne ne s'y est trompé. Elle avait puisé dans son parcours une harmonie.
L'action n'empêchait pas la méditation : elle n'a raté la messe quotidienne « que trois ou quatre fois ».
La Foi identifiée avec le cœur, pour suivre le philosophe Pascal, ne l'incitait à aucune arrogance. « Avant, je pensais avoir le monopole de la vérité du fait que j'étais Catholique, disait-elle ; aujourd'hui, je sais qu'il y a beaucoup de demeures dans la maison du Seigneur.»
Sa supérieure à Istanbul interdisait le prosélytisme, mais encourageait les religieuses à « transpirer Le Christ ».
Sœur Emmanuelle aura été un exemple, tout simplement un témoin. « Je ne suis qu'une petite goutte dans un océan de misère. » Cette goutte vaut de l'or.
"Il faut être heureux"
Interview avec Sœur Emmanuelle
La voix jeune, l’esprit toujours aussi vif, parfois même espiègle, dans un entretien qu'elle avait donné à Pèlerin, Soeur Emmanuelle revient sur sa vie, évoque sa Foi, parle sans détours de la vieillesse et rappelle la force de l’amour. Extraits.
Comment vous sentez-vous, sœur Emmanuelle ?
Pas mal pour 99 ans ! Je crois être lucide, ce dont je remercie le Seigneur. La marche est difficile, mais tout le reste va bien.
C'est difficile à accepter, cette moindre mobilité ?
Se lamenter ne sert rigoureusement à rien. Et puis, je n'ai pas le caractère à regretter. J'ai appris à accepter les choses telles qu'elles viennent, elles ont toujours un côté positif. Il faut regarder ce côté et laisser tomber le négatif.
C'est ce que j'ai fait toute ma vie, de telle sorte que je suis contente de ma vieillesse. Bien sûr, je ne peux plus voyager comme avant, je suis forcée de rester dans ma chambre. Maintenant, j'ai beaucoup de temps pour prier.
Vous priez beaucoup ?
Je prie toute la journée ! Comme je suis très fatiguée, je ne peux plus me concentrer comme avant, pour la Prière. Dieu merci, j'ai mon chapelet ! Je dis le rosaire. J'ai le temps, c'est très beau, et ça ne me fatigue pas de murmurer : « Je vous salue Marie, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous... »
Je le répète tout simplement, mais chaque dizaine de « Je vous salue Marie » renvoie à un mystère de la vie de la Vierge et de Jésus.
Par exemple, je commence par l’Annonciation de l’ange qui vient dire à Marie qu’elle sera la mère de Jésus.
Alors, pendant que je dis le « Je vous salue Marie », je vois cette œuvre du peintre Fra Angelico où l’ange est prosterné au pied de la Vierge qui sourit doucement et je me remémore cette conversation. Ainsi chaque dizaine.
Après c’est la Visitation. Marie va voir sa cousine Elisabeth déjà âgée et pourtant enceinte de six mois. Elle trotte, trotte pour voir sa cousine. Alors, moi, je la vois trottant sur la route… C’est très joli ! C’est ravissant de prier comme cela du matin au soir avec le chapelet.
Je dis ces prières pour tous ceux que j'aime, pour tous ceux qui viennent me voir, et pour toute l'humanité.
Je trouve que c'est très beau, très vivifiant même, de terminer ainsi ma vie. La vieillesse, c'est une grâce que Dieu permet à l'homme. Vous laissez tomber ce qui vous encombre.
Quand on approche, comme vous, les 100 ans, sait-on un peu mieux qui est Dieu ?
Ah, on ne peut pas tout savoir ! Mais avec le temps, la relation avec Dieu Amour se fait de plus en plus intime, douce, profonde. Cela donne du tonus à la vie, c'est comme du champagne, ça fuse ! C'est beau, c'est bon, c'est doux ! Il n'y a rien de meilleur sur terre que la relation d'Amour avec Dieu.
Et comme disait Thérèse de l'Enfant-Jésus, je reçois d'une main du Seigneur et je donne de l'autre main.
Tout ce que Dieu me donne d'Amour, j'essaie de le verser sur les hommes et les femmes qui m'écrivent, qui viennent me voir, et puis sur l'humanité entière.
Vous n'avez jamais douté ?
Si, bien sûr ! J'ai eu des années terriblement difficiles... A Istanbul, pendant la guerre de 1939-1945, j'étais enseignante. A l'époque, j'avais seulement l'équivalent du bac en Belgique. Comme je ne pouvais pas aller étudier à Paris, à la Sorbonne, à cause de la guerre, j'ai fréquenté l'université d'Istanbul.
Là, j'ai connu des professeurs musulmans et juifs d'une très haute teneur spirituelle, intellectuelle, morale et religieuse.
Ils puisaient beaucoup de lumière et de force dans leur religion. C'est alors que j'ai commencé à m'interroger.
Je me suis mise à étudier toutes les religions. J'ai trouvé des lumières dans chacune. Arrivée à la religion Chrétienne, j'ai trouvé un soleil resplendissant, l'Amour du Christ qui est allé jusqu'à la mort pour sauver les hommes.
C'était magnifique. Mais quelles preuves avais-je qu'il était « Dieu, né de Dieu, Lumière, né de la Lumière, vrai Dieu, né du vrai Dieu », comme le dit le Credo ?
Quelle preuve avais-je que Jésus était Le Fils de Dieu ? Je n'en avais aucune. Alors, j'ai commencé à douter, c'était très difficile parce que j'étais « embarquée », comme dit Pascal, j'étais religieuse.
Cette période de doute a duré des années. La guerre finie, j'ai eu la grande chance de pouvoir étudier à la Sorbonne, à Paris. J'ai eu Pascal au programme. C'est lui qui m'a sauvée. Pascal, qui est infiniment croyant, dit que Dieu n'est pas sensible à l'intelligence mais au cœur. Le cœur, c'est le lieu le plus intime de l'homme.
Avec l'aide de Pascal, je suis arrivée à la conclusion que tous les biens matériels ne valent pas une seule pensée, que toutes les découvertes scientifiques ne valent pas un seul acte de Charité, d'Amour gratuit.
Grâce à Pascal, j'ai compris que c'est au plus profond de moi-même que je devais chercher Dieu et non pas en lisant les textes des savants et des philosophes.
Plus tard, quand je vivais au Caire, j'ai reçu une très grande Lumière, une nuit, dans le bidonville.
Ce soir-là, comme il faisait très froid, j'avais fermé ma porte, lorsque j'ai entendu une mélopée. C'était ma voisine, Fauzeya, une femme très misérable, qui chantait. J'ai entrouvert ma porte et l'ai vue, assise par terre.
Son fils faisait ses devoirs. Nous avions obtenu, elle et moi, qu'il aille à l'école, ce qui était extraordinaire dans le bidonville. Elle faisait du feu avec de vieux cartons. Son mari, qui savait un peu lire, déchiffrait l'Evangile.
Quand il s'arrêtait, Fauzeya reprenait la phrase de l'Evangile et la chantait doucement. Son visage était illuminé.
Je ne reconnaissais pas cette pauvre malheureuse, souvent battue. Elle n'avait pas étudié comme je l'avais fait, mais elle avait confiance.
Elle était sûre que Jésus aiderait son fils à sortir du bidonville. Elle était sûre que Jésus aiderait la petite Teresa qu'elle avait au sein à devenir une femme plus heureuse qu'elle. Dans ma cabane, j'ai demandé au Seigneur de me donner un cœur comme Fauzeya. C'est ainsi que j'ai pu me retremper dans la Foi toute simple des enfants et jouir de l'Amour de Dieu dont, finalement, je reste sûre.
Maintenant, avec Le Seigneur, on se comprend. On s'aime, c'est tout.
Voici quatre ans, vous avez publié un ouvrage intitulé Vivre, à quoi ça sert ? Quelle est votre réponse à cette question ?
Vivre, ça sert à Aimer ! Et, quand on est vieux, c'est un avantage, on a plus de temps pour Aimer, c'est-à-dire pour donner aux autres le meilleur de soi-même en suppliant Le Seigneur de les Aimer, de les aider. Maintenant, j'ai évidemment plus de temps qu'avant !
Vous avez souvent dit que vous aimiez beaucoup les jeunes. Pourquoi ?
J'ai toujours aimé la jeunesse, parce que c'est l'espoir, l'enthousiasme. Les jeunes, quand on sait leur parler, ils sont passionnants.
Quand j'allais dans les écoles, les lycées par exemple, ils restaient vraiment suspendus à ce que je disais.
Tout simplement parce que je m'adressais autant à leur cœur qu'à leur intelligence. Les jeunes comprennent très bien qu'il faut s'aider.
Malheureusement, une partie de notre jeunesse est sans repère, certains font des bêtises ; à leur place, j'en aurais peut-être fait aussi.
Parce que la société actuelle ne donne pas assez de repères ?
Aujourd'hui, chacun fait ce qu'il veut. Bien sûr, il faut faire ce que l'on veut, mais il faut aussi vouloir le Bonheur. Dieu nous veut heureux.
Qu'entendez-vous par là ?
C'est vivre en harmonie. Qu'est-ce que l'harmonie ? C'est regarder les autres avec son cœur, pas avec sa tête, établir des relations simples.
Et pour moi, la source est en Dieu. Je vois l'Amour qu'il porte aux hommes. Je suis en harmonie avec Dieu, avec les autres et avec moi-même, c'est tout simple.
Les jeunes comprenaient très bien lorsque je leur expliquais, exemples à l'appui, qu'Aimer, c'est une pratique.
Evidemment, beaucoup ne connaissent pas Dieu. Ils ne savent pas ce qu'est Aimer parce qu'on ne leur a jamais appris.
Il faut savoir Aimer. Mais ça s'apprend... Il faut l'apprendre aux jeunes parce qu'ils veulent être heureux.
Comme parler de Dieu et d’Amour aux non croyants qui sont si nombreux dans une société ?
Il suffit d’aimer. Les non croyants comprennent cela très, très bien. Quand je parle à des jeunes, je ne leur dis pas d’aller se Confesser, cela ne me regarde pas. Ils sont libres.
Je leur dis que la vie est passionnante lorsque l’on sait Aimer. Et ça ils le comprennent tellement bien.
Je leur donne des exemples de gens qui avait tout perdu mais qui n’avaient pas perdu l’Amour. Dans des pays très ravagés, j’ai rencontré des tas de gens qui faisaient tout pour aider les autres à en sortir.
Ces gens étaient donc passionnés et passionnants.
L'heure tourne. Le jour commence à tomber. Isabelle allume une lampe de chevet qui donne une lumière douce. Elle s'installe au pied du lit de sœur Emmanuelle, lui retire ses chaussures, ses bas, et commence à lui masser les pieds, tout doucement.
A plusieurs reprises, vous avez déclaré : « La religion ne m'intéresse pas, c'est Dieu qui m'intéresse. » Pouvez-vous m'expliquer ?
La religion ne m'intéresse pas en tant que telle. Elle est un moyen, pas un but. La religion, c'est quelque chose qu'on a dans la tête, d'abord.
Mais, moi, ce n'est pas la tête qui m'intéresse le plus, c'est le cœur. J'ai des amis athées, j'ai des amis juifs, beaucoup d'amis musulmans. Je ne discute pas religion avec eux !
A mes amis athées, je dis que ce qui compte, c'est qu'ils savent partager leur temps, leur cœur, leur bourse.
Je leur dis aussi que s'ils ne connaissent pas Dieu, Dieu les connaît. Qu'ils n'aient pas peur ! Au jour de leur mort, le Seigneur leur dira : « Viens. Quand j'ai eu faim, quand j'ai eu soif, quand j'étais malade, quand j'étais en prison, tu es venu vers moi. » C'est cela, savoir Aimer. Ce n'est pas simplement croire.
C'est finalement beaucoup plus exigeant ?
Oh oui, c'est vraiment exigeant, mais c'est passionnant. Quand on sait Aimer, on fait de sa vie une aventure merveilleuse.
Si vous deviez faire un bilan de votre vie, quel serait-il ?
Ma vie a été passionnante. Elle l'a été évidemment parce que Dieu m'a permis, partout où je suis passée, d'Aimer les autres, de les Aimer vraiment, d'essayer de les aider, de sorte que ma vie a été une suite d'actions d'Amour. C'est pour cela que je suis ravie d'avoir vécu ce que j'ai vécu et d'être vieille maintenant.
N'avez-vous pas quelques regrets, cependant ?
Non ! Le jour où je suis entrée au couvent, chez les sœurs de Notre-Dame de Sion, j'ai été libérée !
Avant, je n'avais jamais assez d'argent pour mes toilettes. Je voulais aussi danser avec de beaux garçons. Je voulais voyager. Tout cela m'attirait irrésistiblement mais, à la fin, il me restait le vide.
A quoi tout cela servait-il ? Il me manquait l'absolu de Dieu et, à la minute où j'ai changé ma robe de jeune fille coquette contre la robe noire de religieuse qui, à l'époque, tombait jusqu'à terre, avec aussi un petit bonnet attaché sous le cou comme une veuve, j'ai été libérée de tout, des garçons, de l'argent et aussi de ma propre volonté. Dès lors, j'ai eu une supérieure à qui j'obéissais et c'était tout.
Vous obéissiez sans difficulté ? Pourtant, vous avez un caractère bien trempé !
J'ai toujours obéi. Même quand je vivais chez les chiffonniers du Caire. Quand j'ai eu 80 ans, mes supérieures m'ont demandé de rentrer en France. J'ai obtenu un délai.
Lorsque j'ai eu 85 ans, elles m'ont dit de revenir absolument.
Sincèrement, je me suis demandé quoi faire, obéir ou non ? Laisser les chiffonniers qui n'ont rien pour m'installer dans une maison de retraite où j'aurais tout ?
Mais sœur Sarah était déjà là et avait toutes les qualités pour prendre la suite. J'ai compris qu'il ne fallait pas rester contre le gré de mes supérieures, j'ai obéi, je ne l'ai pas regretté.
Tout de même, n'avez-vous pas rencontré quelque épreuve ?
Quand j'étais jeune religieuse, j'ai eu un problème. J'étais dans l'enseignement, et il y avait un professeur très intelligent, très bien de sa personne, il savait énormément de choses et en parlait très brillamment, profondément aussi.
Un beau jour, je me suis rendu compte qu'il commençait à m'intéresser un peu trop, le professeur ! Alors, je suis allée voir une vieille mère, je lui ai dit que je ne me sentais pas bien du tout.
Tout d'abord, elle m'a dit que je pouvais écrire à Rome pour demander à être relevée de mes vœux de célibat. Mais ce n'était pas ce que je voulais. Alors, elle m'a conseillé de ne pas rester braquée sur mon problème, mais de visiter les malades, les pauvres, tous ceux qui souffrent. Petit à petit, m'a-t-elle dit, vous vous rendrez compte que beaucoup sont plus à plaindre que vous. Et puis, naturellement, vous direz le chapelet.
Elle m'a donné une planche de salut. Maintenant, je conseille à ceux qui sont en souffrance de s'intéresser aux autres plus qu'à eux-mêmes, c'est radical. Le fait est que, par la grâce de Dieu, j'en suis sortie.
C’est extraordinaire, à presque 100 ans, de se souvenir que vous avez été amoureuse...
Pas un peu, j’ai été terriblement amoureuse. Ca a été vraiment terrible !
Où cela s’est-il passé ? A Istanbul ?
Ca, je ne vous le dirai pas ! Peu importe d’ailleurs. Le fait est que, par la grâce de Dieu, j’en suis sortie.
Je suis d’ailleurs persuadée que si, dans les ménages en difficulté, on savait s’arrêter, essayer de résoudre les problèmes au lieu de laisser s’ouvrir la faille, on éviterait bien des divorces.
Mais notre société n’encourage pas ce genre d’effort…
C'est vrai, et nous n’en sommes pas heureux ! Vivre, c’est lutter. Tant qu’on n’a pas lutté dans sa vie, on ne sait pas ce que c’est.
Mais quand on arrive à se prendre en main, alors tout change. La vie devient passionnante parce qu’elle est à base d’Amour.
Ce n’est pas difficile d’Aimer. Il suffit de s’attarder, de regarder, d’admirer ce qu'il y a de positif chez les autres et de positif dans les événements qui se succèdent.
Vous avez décidé de publier un livre testament après votre mort. Pourquoi seulement après ?
Ce livre s'appelle Confessions d'une religieuse. J'y parle de moi d'une manière plus intime. Tant que je serai sur terre, je ne veux pas que les gens sachent.
J'ai surtout voulu montrer à quel point l'Amour de Dieu est quelque chose de merveilleux qui transforme tout dans la vie.
Vous arrive-t-il de penser à la mort ?
Oui, beaucoup, maintenant. Mourir, ce n'est pas triste. Mourir, pour un Chrétien, devrait être le plus beau jour de la vie.
C'est le jour où l'enfant tombe dans les bras de son Père, le jour où la fiancée voit enfin en face celui qu'elle Aime.
La mort ne me fait pas peur, c'est l'agonie qui me fait peur.
Isabelle, une jeune femme que je prends pour la kinésithérapeute, est avec nous dans la chambre. Sœur Emmanuelle est allongée sur son lit. Isabelle masse les pieds de sœur Emmanuelle, intervient alors :
Mais, vous ne serez pas seule !
Sœur Emmanuelle : La Vierge, que je prie tous les jours avec mon chapelet, sera là et elle m'aidera, ça, je me le dis souvent. Je ne serai pas seule, comme le dit justement Isabelle.
Quelquefois, le passage est facile...
Sœur Emmanuelle : C'est vrai, quand on lâche, c'est plus facile...
Isabelle : Quelquefois, j'ai accompagné des personnes qui sont parties doucement. Ce qui est dur, c'est quand les personnes ne se laissent pas aller.
Alors il y a agonie, peur de mourir... Mais si on est accompagné à ce moment-là, si on n'est pas seul, c'est plus facile...
Si vous aviez un message-testament, quel serait-il, sœur Emmanuelle ?
Mon message ? Il faut être heureux, il faut chanter, aussi. Pour cela, il suffit d'Aimer. Le dernier mot de tout, c'est l'Amour.
L'Amour vrai, gratuit, ouvert, qui ne va pas s'arrêter à des défauts. Car des défauts, nous en avons tous, c'est évident !
Mais si on s’arrête aux défauts, la vie devient pénible, dure. Si au contraire, on regarde les qualités des autres, la vie est passionnante. Même dans les pires situations, il y a toujours des aspects positifs.
Vous voyez des aspects positifs dans la souffrance ?
Eh bien, la souffrance nous libère un peu de notre égoïsme. Je sais, ce n’est pas facile. Mais c’est peut être libérateur.
Surtout quand on s'offre avec Le Christ pour les autres. Alors, cela devient très beau de souffrir parce qu’on n’est pas seul.
On souffre avec Jésus, on prend la Vierge avec soi et on sait qu’on participe au Salut de l’Humanité. Ca c’est passionnant, vous savez.
Vous êtes célèbre dans le monde entier, il y a quelques années, vous passiez à la télévision comme une vedette et maintenant, vous êtes sous assistance respiratoire, abandonnée dans les mains d'Isabelle qui vous masse. Ce n'est pas difficile à vivre, cet abandon ?
Ce n'est pas difficile. Parce que je ne vis plus que d'Amour. Je me laisse couler en Dieu.
Pourtant, vous avez eu une vie exceptionnelle, extrêmement féconde, vous avez vécu avec les chiffonniers du Caire, avec votre association, Asmae, vous avez aidé des milliers d'enfants dans le monde...
Oui, d'une certaine manière j'ai eu 70 000 enfants dans huit pays !
A ce moment-là, Isabelle prend la parole pour faire une « petite parenthèse » . Non, elle n'est pas kinésithérapeute. Elle fait « du massage de réconfort ».
Isabelle : Il s'agit de faire sentir à l'autre, en le touchant avec respect qu'il est unique, qu'il a de la valeur. Ce toucher avec les mains, mais aussi par le regard, par le sourire, est un acte d'Amour. Ici, c'est une rencontre intime loin des flashs et des projecteurs. C'est toute la réalité de la vie qui est là sur ce lit. Et la réalité de la vie, c'est l'amour.
Sœur Emmanuelle : Elle est très gentille, Isabelle ! Oh, vous savez, la vie, c'est passionnant, passionnant, passionnant...
Date de dernière mise à jour : 20/10/2024
Commentaires
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1 Jean-Pierre Le 21/10/2016
Extraordinaire Sœur Emmanuelle, certainement déjà Sainte au Ciel.
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